Le premier Grand-Prix de l’ère moderne, hier à Bahreïn, a déçu. Privés de
ravitaillements, les pilotes étaient censés montrer à la face du monde
toute leur virtuosité à maîtriser leurs monoplaces en surcharge
pondérale et chaussées de pneus chewing-gum. Il n’en fut rien. Le
fantasme collectif est retombé comme un soufflet dès les premiers tours
de course lorsqu’il est clairement apparu que les Bridgestone tendres
n’étaient pas martyrisés sur le tarmac de Sakhir.
Les raisons d’un échec
La veille, certains pilotes et écuries avaient mis en garde contre des pneus
cerclés de vert dont la durée de vie, en nombre de tours, pourrait se
compter au maximum sur les doigts des deux mains. Mais aucune alerte
n’a été déclenchée dans aucune écurie. Pire, au soir de la course, le
directeur de McLaren Mercedes confirmait au micro de la BBC « On
n’a pas vraiment constaté de dégradation sérieuse des pneus, on a
ouvert notre fenêtre de pit stop car on essayait de passer devant Nico
Rosberg et tout le monde s’est engouffré dans la brèche. Sans quoi, en
nous basant simplement sur la dégradation, nous aurions pu faire 25
tours de plus avec les ultra-tendres. »
« Je ne savais pas à quoi m’attendre avec les pneus mais j’étais un peu
triste lorsque j’ai dû m’arrêter aux stands car je pensais avoir bien
pris soin de mes pneus » renchérit
Jenson Button. Heikki Kovalainen et ses pneus durs ont tenu la
bagatelle de 30 tours avant de passer par les stands, malgré une course
souvent en peloton, parfois hors trajectoire pour laisser passer les
leaders, donc théoriquement destructrice de pneus.
« Nous étions l’une des 3 écuries qui prévenaient que nous devrions imposer 2
pit stops obligatoires car la stratégie à un seul arrêt nous
inquiétait » poursuit
Marti Whitmarsh en faisant son mea culpa, aussi surpris que le public
du scénario du 7è Grand-Prix de Bahreïn. De fait, seuls deux pilotes se
sont aventurés sur le terrain des deux arrêts aux stands : Nico
Hülkenberg, contraint et forcé à la suite d’un freinage violent et d’un
contact rude avec un vibreur qui ont occasionné des dégâts sur ses
gommes, et Jaime Alguersuari. Mieux, les pilotes qui se sont élancés en
pneus durs le regrettaient amèrement ! « On avait choisi une stratégie différente pour Rubens, qui démarrait en pneus durs, mais les tendres étaient très forts » constate Sam Michael, directeur technique de l’écurie Williams. « A posteriori je pense qu’il aurait été plus profitable de partir en pneus tendres. Pedro était plus rapide avec eux » avoue Kamui Kobayashi en rajoutant une couche de décapant sur la théorie du nombre des pit stops.
« Les deux spécifications de pneus étaient bien plus proches en course que ce
que nous pensions et elles ont déterminé la qualité du spectacle » conclut Whitmarsh.
Mais les pneus ne sont pas les seuls germes de la maladie. Du haut de ses 7 titres
mondiaux et de ses 91 victoires en Grand-Prix, Michael Schumacher a
assené une vérité que certaines huiles ne voulaient pas distiller, « Il
est impossible de dépasser ici et c’est le genre d’action à laquelle il
faudra s’attendre dans ce genre d’environnement et de stratégies. »
Les remèdes
Une fois le diagnostic établi, il reste à la Formule 1 à trouver les remèdes avant
que le mal ne se transforme en pandémie sur la totalité des circuits du
championnat du monde.
« Je pense que nous devons réétudier la situation. Si nous pouvions
encourager Bridgestone à nous donner des pneus plus agressifs pour la
course, des ultra-tendres qui se dégraderaient sévèrement si vous les
amenez jusqu’au 20è tour » avance Whitmarsh, « On
ne devrait pas pouvoir faire ça avec un ultra-tendre et même en pneus
durs, je pense qu’on devrait batailler pour les amener jusqu’à
mi-distance. Personnellement, je pense que plus les pneus
représenteront un défi mieux ce sera pour le spectacle. »
Des pneus plus agressifs donc, mais aussi des pilotes !
Jenson Button et consorts doivent se mettre au diapason de la F1
moderne et ne pas attendre leur pit stop pour se désoler de n’avoir pas
suffisamment exploité leurs enveloppes. Il faudra quelques Grand-Prix
pour que les pilotes trouvent leur vitesse de croisière et sachent où
se trouve la limite en fonction des spécifications de gommes et des
conditions de piste (abrasivité, température).
Dans les années 70/80,
les courses dépourvues de ravitaillement ne manquaient pas de sel car
les pilotes avaient la culture du jusqu’auboutisme mais aussi parce que
les monoplaces étaient plus difficiles à maîtriser et que les erreurs étaient plus fréquentes.
Les voitures en dérive, les amorces de tête-à-queue, les boîtes qui
craquaient en refusant de passer une vitesse étaient autant
d’opportunité de dépassement. Sans compter les casses mécaniques qui
faisaient chaque week-end de course leur lot de victimes et
contribuaient donc à relancer une course et un championnat.
Aujourd’hui, les erreurs sont rares et ne sont plus le fil rouge d’un
Grand-Prix. « Ce n’était pas le GP le plus passionnant qui
soit, à suivre de près des boîtes de vitesses toute l’après-midi, mais
les pilotes de classe mondiale que j’avais devant moi ne font
généralement pas d’erreur » confirme Mark Webber, « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour pousser Jenson et Michael à la faute, mais ça n’est jamais arrivé. »
Enfin et pour faire écho au pilote le plus titré de l’histoire, l’architecte attitré
de la FOM, Hermann Tilke, serait bien inspiré de réfléchir à des
circuits d’une nouvelle génération, afin qu’ils épousent eux aussi la
F1 d’une nouvelle génération.
Source: automoto365.com