Enzo Ferrari a dû se retourner dans sa tombe dimanche. Une fois de plus. A voir à quoi s'est encore abaissée son équipe à Hockenheim, sous quelle coupe elle est tombée. Et surtout pourquoi. L'avantage de la gestion de Todt était le parti pris dans les petits arrangements. Subtilement dissimulés sous couverts de problèmes de freins pour Irvine en Autriche en 1998, ou revendiqués sur l'autel du collectif quatre ans plus tard sur le même lieu du crime, puisque Barrichello avait choisi de jeter sa subordination écrite à la face du monde. Le Français s'était adapté.
Depuis, radio-Alonso a remplacé radio-Todt et les ordres ne sont plus le fait même du directeur de la Scuderia. Ils arrivent d'au-dessus ou d'en dessous. Et Domenicali improvise. Montezemolo avait mis un coup de pression en réclamant une victoire d'ici les vacances. Le doigt sur la couture, en pensant à la façon dont son budget est agencé depuis cette année. Gagner donc, et plutôt au Santander GP de Grande Bretagne ou au Santander GP d'Allemagne qu'au ENI GP de Hongrie... La banque espagnole, qui a accéléré le transfert d'Alonso, doit aussi être confortée sur son plan business, son retour sur investissement. Sur la pertinence de devenir sponsort-titre de Ferrari au retrait probable de Marboro, fin 2011.
Fort de ce soutien, Alonso a montré dimanche son emprise totale sur l'équipe. Sans même se soucier des dégâts à son image. Sans fierté ni amour propre, il a montré à la terre entière ne pas tolérer que son équipier le précède. Avec force geste et énième complainte radiodiffusée. Sans volonté de manipulation bien entendu, puisque ça le révulse. J'avais écrit ici que Briatore était le seul à l'avoir cadré en Formule 1. Je me suis trompé. Je me suis souvenu depuis qu'en 2001 les managers de Minardi avaient été insensibles à ses colères d'enfant gâté. A Monte-Carlo notamment, ils l'avaient laissé crier, trépigner puis bouder dans son coin. Il venait de fracasser sa monoplace et réclamait le mulet dévolu pour ce week-end à Marqués, pilote-baltringue mais généreux donateur.
C'est dommage, l'Ibère ne comprend pas qu'il joue sa place dans l'histoire de la Formule 1, que sa bio sera un jour catégorisée. La hargne plus que la classe, la force plus que la persuasion. Une volonté inoxydable aussi. Il n'est pas habité par un idéal supérieur et ça ne sied pas au Panthéon, mais est-il intéressé ? Et puis, il joue mal la comédie, il se rabat trop vite devant "l'autre voiture", trop sûr de son fait, feint de ne savoir la raison de la défaillance. Du folklore. Mais c'est vrai, il avait clamé à Monza, en 2006, que la F1 n'était plus un sport. Il dénonçait la toute-puissance de Ferrari face à la morale. Il pilote aujourd'hui le rouleau compresseur, ou pense le faire. Voilà qu'il reprend à son compte des épisodes passés vécus en victime. C'est embêtant, le Baron l'a décomplexé. Néanmoins, l'Asturien me paraît incapable d'un sale coup de roue pour s'arroger un titre ou d'un créneau urbain pour voler une pole. Important mais pas essentiel.
Le préjudice du bricolage allemand a été provisoirement estimé à 100.000 $ et la récidive devrait conduire la FIA à sévir dans des proportions bien plus importantes. Le public est bafoué, le sport chancelle, le business aussi. Ecclestone pourrait bien renoncer à sa dernière parcelle de romantisme égaré dans ses affaires en sucrant les 20 M$ de prime accordés à Maranello au titre de son rayonnement sur le sport. Le chiffre a été révélé ce week-end et c'est plutôt ironique.
Stéphane VRIGNAUD
eurosport.fr